Un mariage chinois
Vous êtes de plus en plus nombreux à vous demander comment se déroule un culte d'Osiris, un premier de l'an chez les raëliens ou encore une cérémonie de circoncision en Somalie. Et bien je me propose de répondre partiellement à vos interrogations en vous présentant un mariage traditionnel han et les nombreuses coutumes qui le compose.
Tout d'abord, le marié, comme chaque matin à 7 heures et demi, faisait du cheval avec ses amis lettrés. Il songeait amoureusement à cette douce demoiselle qu'il avait rencontré la lune précédente sous un ginkgo fleuri. Étrangement, ce jour la, il dérogea à ses habitudes confucéennes. Il ne fit pas son Taï-Chi au bord du lac des lotus, il ne but pas son thé en composant des poèmes fu. Il décida de se rendre chez sa dulcinée. Peut-être les parents de celle-ci accepteraient-ils de le recevoir ?
Par un étrange hasard, ce matin là, le jeune homme était justement en compagnie de quelques amis musiciens. Pour l'encourager dans sa démarche, ils décidèrent d'entonner un air joyeux.
Une fois devant le portique de la maison familiale, notre jeune amoureux trouva porte close. Il frappa bruyamment à plusieurs reprises. Lucides et commerçants, les membres de la maisonnée, décidèrent de lui demander réparation pour l'effort de déverrouiller le loquet. Fort heureusement, le jeune homme avait nombre de hongbao sous la main. Il commença à distribuer les petites enveloppes rouges à l'intérieur desquelles il avait préalablement déposé un ou deux yuan. La main qui passait par l'entrebâillement de la porte était avide de hongbao. Il dut sacrifier la moitié de ses enveloppes pour entrer.
Après quoi il fit face à la porte de la chambre de la belle. Elle s'était enfermée avec quelques amies pour parler maquillage et feuille de thé. Entendant le jeune homme arriver, les trois femmes demandèrent immédiatement leur part dans la transaction sur les hongbao. Il dut se séparer de l'autre moitié de ses économies. Comme si cela ne suffisait pas, elles lui demandèrent d'interpréter une chanson. L'épreuve fut difficile pour le chanteur en herbe. Fort heureusement, le public n'avait pas l'oreille musicale et jugea acceptable une interprétation qui, en réalité, ne valait pas une sapèque. La porte s'ouvrit enfin.
Assise sur le lit, une femme portait un voile rouge qui lui couvrait le visage. Impossible de savoir de qui il s'agissait. Les trois jeunes filles prétendirent que c'était la demoiselle tant convoitée. Le jeune homme n'était pas dupe et il tînt à vérifier l'identité par la pointure. La belle n'était pas très ordonnée et après une longue recherche, il trouva un soulier sous l'oreiller et l'autre dans le pot de fleur. Aussitôt, il les mit au pied de la mystérieuse inconnue. Cela correspondait !
Comme le jeune homme nourrissait encore quelques soupçons à l'égard de la mystérieuse demoiselle. Il souleva discrètement le voile pour s'assurer de ne pas devoir passer le reste de sa vie avec la mauvaise personne. C'était bien elle.
Ils partagèrent un petit-déjeuner simple : des tangyuan. Elles se présentaient sous la forme de boules de pâte de riz fourrée au sésame, et elles étaient servies dans un bol d'eau chaude. Comme le veut la tradition, les tangyuan se mangent à deux et chacun fait manger l'autre. C'est pour cela qu'on en commande rarement quand on va manger au restaurant avec des copains : cela peut s'avérer embarrassant.
Après cette petite collation, le jeune homme prit son courage à deux mains et alla faire sa demande au parents de la belle. Il balbutia quelques mots dans un chinois malaisé. Fort heureusement, son fidèle ami, le crieur public qui avait l'habitude de ce genre de situation, émit une demande plus orthodoxe dans un chinois plus standard avec une voix plus assurée.
Malgré la surprise, les parents acceptèrent aussitôt le mariage et remirent à leur tour des hongbao bien grasses au jeune couple qui leur donna le change en servant le thé.
La famille du jeune homme les avait rejoint et l'on décida, sur le pouce, de faire venir un palanquin pour la future mariée. D'une grande promptitude, les porteurs arrivèrent dans la cour de la résidence la minute suivante. La belle, toujours voilée, grimpa dans le palanquin et le défilé reprit sa marche, pleine d'allant, remarquable et solennelle avec tous ces nouveaux participants.
Au devant, se tenait le crieur public dont la voie grondait comme le tonnerre et faisait frissonner chaque pierre, il était accompagné des deux plus jeunes enfants de la famille qui tenaient chacun une pancarte annonçant l'arrivé du bonheur, venait ensuite le jeune homme sur son cheval blanc et la jeune femme dans son palanquin rouge, puis c'était tout le cortège des musiciens, le son nasillard des trompettes et le rythme retentissant des tambours, enfin, les deux familles réunies et les proches fermaient la marche.
Cet ordre de marche dura pendant quelques dizaines de minutes, mais il se passa que les porteurs épuisés ralentirent le pas et que les musiciens continuèrent au rythme de la musique, le crieur public recula pour constater et préféra rester proche des mariés, le cheval quant à lui, peu habitué à la foule des humains, pouvait subitement accélérer ou encore s'arrêter et tourner en rond. De plus, lorsqu'ils arrivèrent au restaurant et que des pétards retentirent, le canasson arrêta radicalement jusqu'à la fin des explosions. C'est donc dans un ordre un peu dispersé que le défilé arriva sur les lieux.
Au restaurant, on commanda vingts tablées de dix, couvertes des meilleurs plats qui existât sous le Ciel. On y fit également venir une estrade, des lions et un marieur.
Pendant ce temps, les jeunes amoureux accueillaient les convives venus des quatre coins du monde, les deux frères du mariés distribuaient force friandises et cigarettes aux nouveaux arrivants. Les lettrés faisaient des esquisses des nouveaux mariés en compagnie de diverses personnalités. Chaque participants pourvoyaient alors à quelque aide financière pour le nouveau couple puis allait prendre place à sa table.
Lorsque la cérémonie proprement dite commença, on fit d'abord venir les lions qui interprétèrent une danse dont se dégageait une énergie certaine. Les parents des deux familles furent ensuite invités à peindre les yeux des lions afin de donner vie aux animaux.
Puis vint l'entrée en scène des mariés, le jeune homme tirait la belle avec un ruban rouge au milieu duquel se trouvait une grosse fleur. Le chemin pour rejoindre l'estrade était long et ils durent affronter le feu...
...et un étrange objet dont la signification reste, aujourd'hui encore, une énigme.
Ils prirent alors place sur la scène sous les rugissements de la foule. Le marieur prit la parole d'une voix forte mais claire. Après quelques bons mots et recommandations ancestrales, il fit remettre au marié un grand arc de bois et lui ordonna de faire feu sur la foule. Par mégarde, l'organisateur avait oublié les flèches, cette omission eût l'avantage de rendre l'opération bien moins pénible et douloureuse pour tout un chacun.
Le jeune homme tira par trois fois. Une fois vers le haut, pour le Ciel, une fois vers les bas, pour la Terre, et une fois de haut en bas pour symboliser l'harmonie et l'union entre Ciel et Terre. Chacun des tirs était suivi par un tonnerre d'applaudissements qui aurait pu ébranler le monde.
Sur le champs, on fit venir une badine de bois avec lequel le jeune homme souleva le voile de sa promise à trois reprises. Il souleva à droite, observa seul un instant, puis il fit une mimique amusante à l'intention du public qui reçut rires et applaudissements. Il souleva à gauche, nouvelle mimique, nouveaux éclats de rire. Enfin, il souleva le voile en son milieu et le fit tomber à terre. Cette fois, les rires se changèrent en un « aaaaah » généralisé. Tous étaient surpris et troublés par la jeunesse et la beauté de la mariée et en oublièrent un instant leurs propres soucis.
Pour remercier cet extraordinaire public, comme le voulait la tradition, le couple se livra à trois salutations inclinées et les mains jointes en signe de respect.
C'est alors qu'eut lieu l'échange des alliances. C'était une tradition empruntée à la culture occidentale qui était alors très en vogue dans les contrées les plus méridionales de l'Empire. Il s'agissait de s'offrir mutuellement un petit anneau d'argent ou d'or blanc qui symbolisait les liens du mariage. Les alliance était présentée sur un petit coussin rouge. Les deux frères du marié vinrent lui apporter l'objet qu'il passa, non sans une certaine émotion, au doigt de la belle.
Enfin, le couple s'embrassa, sur la joue, avec une pudeur toute confucéenne. Au même moment, le marieur cria quelques mots incompréhensibles et aussitôt, des feux d'artifice illuminèrent la scène, aveuglants et majestueux. Cela était si surprenant que les convives assis à l'avant reculèrent machinalement. L'ensemble prit un aspect irréel.
Les feux d'artifice disparurent aussi vite qu'ils étaient arrivés. On invita ensuite les deux familles à monter sur scène. L'homme se tenait à gauche et la femme à droite, chacun se faisait accompagner de sa belle famille. La marieur continua son discours de plus belle.
Enfin, les familles furent invitées à s'asseoir aux places prévues à cet effet. On apporta le thé et chacun, gendre et bru, s'inclinèrent profondément face à leur nouvelle famille pour leur donner la boisson traditionnelle. En échange de quoi, les beaux-parents offrirent de nouvelles hongbao.
On fit ensuite venir les lettrés qui, à l'encre de Chine, esquissèrent un portrait du couple entourée de leurs deux familles.
Ils durent encore boire un verre les bras-croisé, comme le voulait la tradition. Puis, enfin, les amoureux purent se retirer en coulisse pour passer des tenues plus conventionelles
Hormis le nouveau couple, tout le monde se mit à manger de bon cœur pendant qu'avait lieu une démonstration d'opéra du Sichuan. L'artiste au masque blanc interpréta une danse sur une musique moderne et ancienne, au croisement de deux époques. En une fraction de seconde sont visage devint bleu. Il s'avançait au milieu des convives quand, en un clin d'œil, il devint rouge de colère. La foule rugissait d'allégresse. Finalement, un courant d'air passa et son visage avait pris les traits d'une effrayante tête de mort avant de révéler presque aussitôt le véritable visage de l'artiste. Il y eut un instant de silence, puis les applaudissements reprirent de plus belle.
Ce fut le moment que trouvèrent les mariés pour revenir sur le devant de la scène. Le jeune homme, convenablement vêtu d'une veste Sun Yat-Sen rouge et d'un pantalon noir ; la jeune femme, magnifiquement parée d'un qipao rouge firent sensation.
Il était temps de s'atteler à la tache tant attendu du marié et tant redouté de la mariée : trinquer.
La forme veut que l'on trinque dans de petits verres que l'on boit cul-sec. Ce rite ancestral s'appelle le « ganbei ». Le couple devait aller voir chaque table et honorer les invités d'un ganbei.
A chacune des tables, certains, plus timides ou du fait de leur statut de simple relation, se contentaient de féliciter les mariés. D'autres, plus proches de la famille ou simplement plus loquaces, se laissaient aller à de longues exhortations quant à leur vie et leur bonheur futur. L'alcool aidant, on reprenait des verres et on parlait parfois très longuement. Certains récitaient des poèmes, d'autres chantaient des chansons. On ne s'entendait plus mais on se sentait bien.
Merci à tous ! Le peuple de Xindu se joint à moi pour vous adresser ses salutations !